L’histoire politique du Bénin est une histoire mouvementée, controversée. Comme partout et plus qu’ailleurs, le milieu politique béninois est riche en coups bas et en intrigues. À temps et à contre temps, j’ai dénoncé ce milieu, le jugeant de milieu pourri et amoral. Pourtant, mon engagement à servir le bien et le vrai m’oblige à y être encore le temps qu’il sera nécessaire.
Le Bénin a mal à ses enfants, me répétait le général Kérékou, surtout ceux qui le gouvernent. Quand on sait que les agissements de ces hommes et femmes politiques déteignent sur la société en général, on mesure bien le mal sociétal dont souffrent les béninois. Ce mal a été diagnostiqué par plusieurs analystes. Volontairement ou non, ils ont tous donné raison à Emmanuel Mounier ce philosophe français. Très tôt, celui-ci a dénoncé ce mal sous la forme d’un programme socio-politique : « quand bien même les autres colonies échoueraient, le Dahomey n’échouera pas ». Quelle conviction ! Pour convaincre ses contemporains, il a dû se justifier : (…) le Dahomey est le quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme fait de méchanceté et de mesquinerie est de nature à retarder le développement du pays. » Tout est dit : diagnostic de certitude à conséquences anthropologiques, sociales et sociétales !
Longtemps, comme si les dahoméens devenus béninois avaient honte de ce lourd diagnostic, la mémoire collective n’en a retenu, du moins dans un premier temps, que l’aspect positif : le Bénin est le quartier latin de l’Afrique. En effet, par cette affirmation, le philosophe français fait un constat et une prophétie. Le constat indique que le Bénin se caractérise par la force des idées. La prophétie indique que ce constat peut s’inscrire dans une temporalité longue, un présent permanent.
Dans un pays où les idées sont premières, si celles-ci déterminent durablement les actions et les comportements des citoyens, la construction d’un vivre-ensemble harmonieux, cohérent et apaisé s’obtient de façon méthodique, sans coups férir. Dans une telle société, on s’évertue à avoir des hommes et des femmes de qualité, des hommes et femmes féconds en valeurs positives, des hommes et des femmes vertueux, prioritairement mus par le bien commun, qui assurent la pérennité des actions en faveur du bien-être de tous.
Emmanuel Mounier ne s’est pas arrêté à ce double constat positif dont le vécu conscient aurait fait du Bénin un pays envié. Tel un visionnaire averti, il a très vite complété ce constat par une dénonciation immédiatement suivie d’une annonce. Dénonciation peu glorieuse tirée de ses observations objectives : l’intellectualisme dont il est question est fait de méchanceté et de mesquinerie. Annonce sous forme de condition critique : la méchanceté et la mesquinerie sont les contre-valeurs dont il faut se départir pour assurer le développement du pays ; sinon celui-ci sera soit retardé soit compromis.
Sont ainsi clairement énoncés les facteurs limitant le développement de notre pays. Nous le savons tous, depuis des lustres. Pourtant, nous nous comportons les uns en rapport avec les autres comme si ce n’est pas préoccupant. Dans mes réflexions ci-après, je veux me limiter aux conséquences de ces contre-valeurs au plan politique, parce que ce qui advient à ce niveau macro social par excellence détermine les comportements des uns et des autres dans la cité.
La guerre des personnes, elle, “produit” des hommes et des femmes politiques sans racines, sans convictions, qualifiés de prorégimistes, toujours du côté du chef au pouvoir
Alain ADIHOU
La méchanceté et la mesquinerie empoisonnent la vie. Elles véhiculent ce que, dénonçant les tares de notre système culturel, j’ai appelé par ailleurs une « culture de mort ». Elles sont les cancers qui détruisent les rapports inter personnels et les relations intra communautaires. Elles participent des « structures de péchés » dénoncées par Saint Jean-Paul II dans son encyclique sur le développement humain, Sollicitudo Rei Socialis (1987). Elles renforcent à outrance le “moi” et le “m’as-tu vu”. Au total, elles mettent à mal le déterminant « fraternité » du vivre-ensemble national. Au plan socio-politique, ces contre-valeurs se traduisent par la guerre des personnes et des images au détriment de la guerre des idées ; le paraître, plutôt que l’être. La guerre des idées caractérise les quartiers latins et leur permet de mettre en place des structures fortes sur la base desquelles sont conduites les affaires publiques. La guerre des personnes, elle, “produit” des hommes et des femmes politiques sans racines, sans convictions, qualifiés de prorégimistes, toujours du côté du chef au pouvoir. Le Bénin en compte beaucoup, hélas !
Confier la gestion d’un pays à de tels acteurs, c’est accepter de faire conduire ce pays à sa perte. L’histoire politique du Bénin est trop riche en épisodes douloureux qui traduisent cet état de fait. C’est pour y remédier que la Conférence nationale a instauré le « consensus ». Dans le contexte spécifique de notre pays, cette valeur est cardinale. Le consensus implique à la fois non-exclusion et non-exclusivité. Non exclusion d’une partie des acteurs et non-exclusivité des débats qui concernent toute la nation. Plus jamais donc de guerres de personnes ! Plus jamais d’élections législatives pareilles à celles de 2019 et d’élections municipales et communales comme celles de 2020 ! Puisque le pays appartient à tous, sa gestion et son développement incombent à tous. On comprend alors que les lois crisogènes doivent être vite revisitées. Il ne peut pas en être ainsi pour le bien de tout le pays tant que la majorité présidentielle travaille à réduire l’opposition au silence.
Pour la première fois de l’histoire politique récente de notre pays, l’opposition est absente de l’assemblée nationale et se réduit à être une opposition non-parlementaire. De quoi peut-on alors l’accuser si elle a été interdite de l’une des tribunes favorites ? Une tribune au demeurant constitutionnelle. Qu’elle donne l’impression de chercher ses marques, cela s’entend. Car, en l’absence de tribune institutionnelle, elle peut facilement être taxée de démagogique et de « trouble fêtes ». Le cadre parlementaire est un cadre organisé, et on peut donc comprendre que la situation que vit aujourd’hui l’opposition politique en dehors de ce cadre ne lui permette pas de s’exprimer de façon organisée et efficace.
Même si j’en dénonce régulièrement les limites, la démocratie béninoise est à ce jour une démocratie représentative. Pour certaines revendications, et surtout pour l’efficacité de la veille citoyenne, elle a besoin de l’expression populaire. A-t-on déjà oublié que, avant 2016, c’est la conjonction des efforts de l’opposition parlementaire et de l’opposition non-parlementaire qui a permis au peuple de se mobiliser pour assurer cette veille ? La conséquence du “muselage” de l’opposition parlementaire est aujourd’hui le mécontentement généralisé du peuple.
Cependant, à lui seul le bâillonnement de l’opposition ne justifie ni sa relative organisation ni surtout l’exclusion qu’on observe en son propre sein et qui traduit la guerre de personnes, la guerre de leadership, sus dénoncée.
L’opposition non-parlementaire a du mal à exister, surtout du mal à s’exprimer de façon audible. L’une des raisons est d’origine culturelle. En effet, sur le plan culturel, il n’est pas aisé de s’opposer au chef en fonction sans être taxé de subversif ou d’acte insurrectionnel, et traité comme tel. Si la thématique « opposition » n’est pas inscrite dans l’ADN de nos systèmes culturels, elle doit néanmoins s’y implanter progressivement grâce à l’action concertée des hommes et des femmes qui s’engagent volontairement dans l’action politique. Cette action intelligente d’acculturation politique est indispensable à l’effet de l’instauration chez nous d’une démocratie épanouissante.
Pour la prochaine présidentielle, l’opposition non-parlementaire a plus besoin de s’entendre sur les idées forces qui vont gouverner l’action politique à venir que de courir après un acte de reconnaissance juridique. Le code électoral en vigueur n’interdit nullement les candidatures indépendantes.
Alain ADIHOU
Pour la prochaine présidentielle, l’opposition non-parlementaire a plus besoin de s’entendre sur les idées forces qui vont gouverner l’action politique à venir que de courir après un acte de reconnaissance juridique. Le code électoral en vigueur n’interdit nullement les candidatures indépendantes.
Le diagnostic qui justifiait de réformer le milieu politique béninois est juste et pertinent, tout le monde le reconnaît. Malheureusement, les solutions apportées dans le cadre des réformes politiques et institutionnelles opérées sont mauvaises. Il faudra donc rapidement corriger le tir. C’est pour cela que la présidentielle de 2021 doit permettre de remettre de l’ordre dans la classe politique. Les actions urgentes à mener à l’issue de cette élection doivent permettre la réconciliation des acteurs de cette classe avec eux-mêmes puis avec l’ensemble des forces vives de la nation. À l’épreuve de l’exercice du pouvoir, les acteurs du régime actuel ont montré leurs limites. Aucun parmi eux n’est en mesure d’incarner la valeur capitale de rassembleur dont le peuple a besoin pour prétendre relever les défis politiques en perspective. Ce que le peuple attend de ses dirigeants de demain, c’est, comme je l’ai dit par ailleurs, de refixer les fondamentaux de la démocratie dans notre pays afin de relancer les bases objectives d’un développement national durable. À cet effet, comme l’a récemment indiqué l’ancien ministre Ali Houdou, il est souhaitable que le prochain quinquennat soit un quinquennat de transition politique. J’espère que les forces politiques de l’opposition s’en convaincront, qui vont fédérer leurs énergies autour de cette thématique et mutualiser leurs efforts en vue de sa mise en œuvre concertée, méthodique et intelligente.
En effet, les guerres inutiles et puériles de personnes entre acteurs de l’opposition est une plaie que leur esprit d’humilité réciproque doit chercher à panser au plus vite. Être en mesure de sacrifier ses intérêts personnels au profit d’un défi national urgent et vital à relever pour le bien de son pays, c’est faire preuve de hauteur. L’opposition béninoise doit donc se repenser, les acteurs quant à eux, s’élever. La correction des tares objectivement notées au niveau de l’opposition non-parlementaire doit être l’affaire de toute la société. C’est pour cela qu’une assise nationale inclusive s’impose dès le lendemain de la prestation de serment par le nouveau président de la République. Vu les remises en cause sans vengeance qu’une telle tâche requiert, il va s’en dire qu’il est nécessaire de changer à la fois le conducteur et le véhicule.
Les Silences de Alain
Reporter Bénin Monde
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