Depuis quelques mois, plusieurs communes ont lancé le processus d’élaboration de leur Plan de Développement Communal 4ème génération. Quelques rares communes comme Cotonou en sont à la 3ème génération. Un processus qui ne diffère en rien de ceux qui ont conduit à trois générations de PDC, laissant un goût d’inachevé dans nos communes. Les PDC ne sont pas élaborés sur la base d’une théorie de changement orientée vers l’impact des services sociaux de base. Les évaluations des PDC nous édifient à suffisance sur les taux de réalisation et surtout sur l’impact des actions menées dans la vie des populations concernées.
La réforme structurelle du secteur de la décentralisation basée sur une séparation étanche des fonctions techniques et politiques, une promesse de transfert accru des ressources humaines et financières vers les collectivités territoriales, devrait induire un changement de méthodologie dans l’élaboration des PDC. De plus, la réforme en cours vise essentiellement l’amélioration de la fourniture des services sociaux de base aux populations de nos différents territoires. L’une des lignes directrices de la réforme est : « la mise en place d’un dispositif opérationnel de relai des services publics entre les niveaux central, communal et infra-communal. » Pour atteindre les objectifs de la réforme et l’un des enjeux de la décentralisation qu’est le développement local, il est nécessaire de revisiter la manière dont les PDC sont élaborés dans nos communes. C’est d’ailleurs à ce titre que les efforts du Gouvernement sont appréciés à sa juste valeur, à travers le Ministère du Développement qui procède à la dissémination des outils de planification dans les 12 départements. Ce travail du Gouvernement vise à mettre à la disposition des acteurs à la base un cadre référentiel consensuel d’élaboration des Plans de Développement Communal prenant en compte les éléments fondamentaux tels que la théorie de changement, les thématiques transversales et le lien étroit entre les programmes et les options stratégiques. En conséquence, elle permettra d’harmoniser les directives dans l’élaboration de la 4ème génération desdits plans dont le processus est en cours.
Eléments de définition de la planification locale
Selon le guide de planification locale, « Le Plan de Développement Communal (PDC) vise à atteindre, en adéquation avec les orientations nationales et régionales et au terme d’une période donnée, un but, des objectifs et des résultats qui concourent au développement de la Commune ». Selon Juliette Maulat, dans « Urbanisme et aménagement (2020) », le terme de la planification renvoie à une activité formalisée qui permet à une société de favoriser, réguler ou gérer des évolutions économiques, urbaines ou sociales. » En France, la planification urbaine est habituellement définie comme « un ensemble d’études, de démarches ou de procédures juridiques, qui permettent aux acteurs publics de connaître l’évolution des milieux urbains, puis de définir des hypothèses d’aménagement, afin d’intervenir dans la mise en œuvre des options retenues » [Merlin et Choay, 2010, p. 580].
De 2003 à 2020, le Bénin a expérimenté une planification du développement local basée sur la participation mais qui n’a pas véritablement pris en compte les études et les outils de mise en œuvre. Dans une telle perspective, la planification locale devrait être participative afin de prendre en compte les attentes des populations mais basée sur une théorie de changement, la prise en compte des besoins en services sociaux de base, des potentialités de la commune et des indicateurs de performance.
La nécessité d’une rigueur dans la planification locale
Dans la ferveur de l’installation des communes en 2003, la première génération de PDC a été euphorique et très optimiste, souvent démesurée. A titre d’exemple, des communes qui ne pouvaient pas mobiliser cinq cent millions de francs CFA en ressources propres au cours de l’année d’élaboration du document de planification, avaient élaboré des PDC avec des investissements annuels de plus d’un milliard de francs CFA. Et cette planification biaisée a perduré jusqu’à la 3ème génération de PDC. En réalité, il faut discerner les investissements réalisables du PDC de la vision de la commune. La vision s’étend sur un horizon de 20 à 25 ans. Elle a le droit et le devoir d’être la plus ambitieuse possible. Mais les projets et programmes du PDC quant à eux couvrent cinq années au plus. Pour amener les communes à élaborer des PDC réalistes, il est important d’indexer le montant global du coût de réalisation des projets et programmes planifiés sur la capacité d’investissement de la commune. Cette capacité réelle d’investissement inclut les ressources issues de tous les partenariats publics-privés envisagés dans le PDC, la coopération décentralisée dont les montants des années antérieures seront indicatifs, les transferts de l’Etat dans leur volet investissement et les réalisations budgétaires d’investissement. L’analyse de toutes ces ressources, sur la base des réalisations antérieures permet de dégager la capacité de la commune à financer son PDC. Cette capacité peut être majorée de 20 à 30 % selon les catégories de communes lorsque les autorités locales s’engagent à davantage mobiliser les ressources propres ou lorsque l’Etat s’engage à augmenter ses transferts d’investissement au profit des communes. Ainsi, l’ensemble du costing du PDC devrait refléter cette réalité financière de la commune. Il est vrai que des volets financiers d’un PDC peuvent se retrouver dans le fonctionnement. Mais cette proportion est très minime. La rigueur dans la planification locale devrait donc se baser sur la capacité d’investissement de la commune. Cette rigueur dans la planification donnera tout son sens au rôle d’arbitrage des élus de la commune dans le choix des projets prioritaires et leur répartition par unité infra-communale. Avec le cadrage budgétaire qui est l’une des contributions les plus appréciées de l’Etat aux communes, il est aisé de déterminer la capacité d’investissement des communes sur cinq ans avec une majoration selon les cas. L’inscription au PDC de projets dépassant les capacités financières de la commune est un danger pour le développement local. Si dans son Plan Annuel de Développement (PAD) ou Plan Annuel d’Investissement (PAI), la commune inscrit dix projets alors qu’elle ne peut qu’en financer deux ou trois, la priorité n’est plus déterminée par les populations ou les élus, mais par l’ordonnateur qui misera toujours sur les projets les plus simples à réaliser. Ces projets ne sont pas forcément ceux qui impactent le niveau des services sociaux de base dans la commune. De plus, une telle situation fausse la théorie de changement qui se nourrit, selon les échéances (court, moyen et long terme) des résultats, des effets et des impacts de l’ensemble des projets et programmes. La rigueur dans la planification permet de maintenir la cohérence interne entre les projets et programmes et leur cohérence avec la finalité de toutes ces politiques publiques au niveau local. Ainsi, la priorité sera donnée au projet de mise en place des infrastructures et équipements sociocommunautaires relevant de la compétence de la commune.
Un indispensable état des lieux du niveau de fourniture des services sociaux de base dans la commune à confronter avec les résultats des phases de diagnostic
Faire en sorte que le niveau minimum de tous les services sociaux de base soit réuni dans les 77 communes du pays est davantage un défi local que gouvernemental. Sur la base de l’évaluation du PDC 3 et des ateliers de diagnostic, un point détaillé et précis des besoins de chaque commune, (arrondissement par arrondissement, quartier de ville par quartier de ville et village par village) doit être fait pour déterminer le nombre d’équipements sociocommunautaires à réaliser par services sociaux de base relevant de la compétence communale afin d’atteindre les normes nationales et internationales en matière de fourniture des services de base aux populations. Pour les services qui relèvent de l’Etat, un plaidoyer et un marketing territorial doit se mettre en place. Il s’agit donc de déterminer, à titre d’exemple, le nombre de salle de classe à construire afin d’atteindre les normes nationales et internationales en la matière et de programmer leur construction après un costing. Ainsi, la commune dispose d’un Tableau de Bord des infrastructures sociocommunautaires de base à réaliser pour atteindre le niveau de satisfaction des populations en services sociaux de base. Ce travail devra être confronté avec les attentes exprimées par les citoyens. Le rapport qui en résulterait permettrait à tous les acteurs de la commune de connaitre le niveau du service public dans la commune et le gap à rattraper. Il sera alors possible de déterminer les investissements à réaliser en cinq ans sur la base de la capacité financière de la commune. Ce Tableau de bord est public et contient des indicateurs pertinents, disponibles en temps utile, fiables, comparables et vérifiables. Il serait vraiment intéressant de faire un rapprochement avec les ODD dont une bonne partie au niveau local sera intégrée dans le PDC au titre des services sociaux de base. Selon les chiffres de la DGCS-ODD, il faudra au Bénin, en moyenne 3.300 milliards de FCFA par an pour réaliser l’ensemble des ODD dans les délais impartis. Cette moyenne varie d’une année à l’autre, compte tenu de certains paramètres. L’évaluation de 2018 donne environ 2.200 milliards de francs CFA. Lorsqu’on en vient aux cibles priorisées des ODD, il fallait en moyenne 1.200 milliards de francs CFA pour réaliser la tranche annuelle de 2018. L’Etat, dans une démarche de complémentarité avec les collectivités territoriales déciderait de l’affectation d’une partie des ressources mobilisées au titre des ODD (Eurobond par exemple) aux communes. L’Agenda 2030 est un Programme inclusif qui met en place un partenariat global permettant aux différents acteurs de jouer leur partition dans la construction d’un monde de paix et d’épanouissement pour l’ensemble des populations. La qualité de la planification locale peut faciliter la mobilisation de ressources additionnelles pour nos communes.
Synergie et accompagnement des actions du Gouvernement dans la commune
Le PDC 4 dans toutes les communes doit être en synergie d’actions avec le Programme d’Action du Gouvernement 2021-2026. Ainsi, un programme doit être mis en place dans le PDC pour consolider les interventions et les investissements du Gouvernement dans la commune afin d’en tirer le meilleur profit. Après avoir répertorié les politiques publiques de l’Etat, incluant ses projets, ses investissements et ses différentes interventions en cours et futurs (sur 5 ans), la commune doit définir son approche d’accompagnement et de consolidation de ces acquis à travers des projets dynamiques et innovants. Ce volet doit se faire dans une approche concertée entre la commune et les services déconcentrés de l’Etat pour davantage impacter et consolider la mise en place des services sociaux de base, mais également l’économie locale. Cette innovation dans la planification locale amènera progressivement le Gouvernement à privilégier les investissements catalyseurs dans les communes. Si nous prenons une commune comme Abomey-Calavi, il est indispensable qu’elle ne développe pas dans son PDC un Programme permettant de consolider les nombreux investissements de l’Etat dans la commune. Les nombreux marchés en construction et le programme asphaltage appellent des actions de consolidation de la part des communes. Il en est de même pour beaucoup de communes sur le plan agricole.
La promotion de l’économie locale comme finalité
La promotion de l’économie locale doit être une priorité pour la commune. Derrière chaque franc que la commune investit, il doit avoir un modèle ou un écosystème économique. L’amélioration du niveau de vie des populations dépend non seulement des services sociaux de base (développement non monétaire) mais aussi et surtout d’un environnement économique local pourvoyeur d’emplois, de marchés, de pouvoir d’achat et d’heureuses perspectives de vie. Il s’agit donc d’une approche de valorisation des potentialités de la commune, d’optimisation de la mobilisation des ressources locales, fiscales et non fiscales et d’accompagnement des initiatives économiques, notamment celles des femmes, des jeunes et des personnes en minorité ou vivant avec un handicap. Le PDC 4ème génération doit être un instrument de révélation de l’économie de chaque territoire.
Les questions transversales
Les PDC 4 doivent également inclure les thématiques transversales comme le genre et tout ce qu’il implique dans l’organisation de l’administration, les nominations, l’accessibilité à tous les bâtiments de la commune…, les changements climatiques et tout ce qu’ils englobent en matière de gestion durable des ressources, les formes de construction dont les matériaux locaux valablement expérimentés par le PDIEM, un programme de la Coopération suisse mis en œuvre par SNV, de changement progressif des modes de production…, la redevabilité, la promotion de l’emploi avec des statistiques disponibles, le dividende démographique et la lutte contre l’extrémisme violent.
En élaborant un PDC de cette manière, chaque commune pourra impacter son territoire et les équipes municipales qui suivront pourront réellement tisser la nouvelle corde à l’ancienne. Le Bénin changera totalement de visage dans les 77 communes d’ici deux générations de PDC. Vivement que les PDC 4 apportent un vent d’espérance et de développement durable dans nos communes.
Franck S. KINNINVO
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