Repenser l’Industrie Musicale du Bénin
Acteur culturel et Représentant de la structure digitale de la marque Sony au Bénin, Eric Gbèha se désole de l’absence d’une industrie culturelle digne du nom au Bénin. Dans cette interview il a exploré quelques pistes pour susciter l’investissement dans le domaine de la musique et souligne la nécessite pour l’Etat de voter des lois pour arrêter le phénomène de la piraterie. « (Lire l’interview)
Est-ce qu’on pourrait parler d’une industrie musicale au Benin ?
“Il n’existe pas actuellement d’industrie musicale au Bénin”
A mon avis, il n’existe pas actuellement d’industrie musicale au Bénin. Parce que l’industrie musicale, c’est tous ceux qui sont dans l’écosystème à savoir les éditeurs, les auteurs compositeurs, les producteurs, les éditeurs phonographiques, les distributeurs, les diffuseurs, les manager les agents etc. Pour qu’on parle d’industrie musicale il faut que tous ceux-là fonctionnent ensemble or actuellement on note une démission de la fin de la chaine c’est-à-dire une démission des producteurs, des distributeurs, des éditeurs phonographiques. Du coup, il n’y a que les auteurs compositeurs, interprètes, managers et peut-être les diffuseurs qui sont dans la chaîne de l’industrie. Pour moi on ne peut pas parler de cette industrie-là aujourd’hui. Parce que les gens sont prêts à composer et sont prêts à produire des disques mais personne n’est là pour financer la sortie d’album donc actuellement on assiste à une autoproduction qui marche pour certains albums, mais pour la plupart, comme il n’y a pas de maison de disques derrière, finalement on note une baisse de la qualité de la production
Il n’y a donc aucune maison de disque au Bénin?
Il y en a eu. Laha Production, Guru Record mais elles n’existent plus vraiment. Guru Record pour sa part a réduit ses ambitions cette maison produit actuellement à peine deux artistes pour ne pas dire qu’un seul carrément. Il s’agit de Don Mètok et cette maison de production en soi ne peut plus prendre des risques énormes. Donc à mon avis, il n’y a plus de maison de production mais Il y a de l’auto production. Les artistes se produisent eux-mêmes. Voilà.
Est-ce qu’il est finalement possible d’espérer un possible investissement dans ce domaine?
Celui qui investit s’attend à gagner. A la manière dont l’industrie musicale est gérée actuellement au Bénin personne ne pourra investir parce que si les gens produisent des discs, il faut bien qu’on vende. Or la piraterie est devenue un phénomène qui déstabilise totalement le secteur. Donc à mon avis, il faut que l’Etat intervienne pour arrêter un tant soit peu ce fléau qui ruine l’industrie phonographique au Bénin.
A quel niveau l’Etat devra t- il intervenir ?
“l’Etat doit intervenir au niveau des lois.”
Déjà l’Etat doit intervenir au niveau des lois. Et il ne suffit pas aussi de voter les lois. Il faut qu’il y ait des décrets d’application qui les accompagnent. Au Bénin, nous sommes champions en matière de loi mais le peuple n’est pas toujours informé des lois qu’on vote.
Nul n’est censé ignoré la loi dit-on souvent!
Oui c’est ce qu’on dit mais je pense qu’on est en Afrique et les réalités de l’Afrique sont autres. Ici, nous ne sommes pas en France, ni aux Etats Unis. Les gens ici au Bénin n’ont pas le souci de lois. Ils n’ont pas en priorité de connaître les lois. C’est le jour où ils tombent dedans qu’ils apprennent qu’il y a une loi qui existe. C’est cela la réalité des pays africains. Donc, connaissant cette réalité-là, nos Etats doivent faire un effort de communication autour des lois votées afin que les gens se les approprient. Ceci est une réalité. Dans le secteur musical, il y a des lois qui ont été votées ; Il y a les lois sur le droit d’auteur, Il n’a jamais eu de décret d’application. Il y a la loi sur le statut de l’artiste, Il n’y a jamais eu de décret d’application. Du coup, rien ne peut avancer. Je pense qu’il faudrait que l’Etat regarde un peu plus de façon professionnel ce secteur si nous voulons avoir des résultats.
Vous êtes d’accord avec moi que les lois et la communication autour d’elles ne règleront pas le problème du monde musical béninois?
Non mais pour lui en donner l’élan il faut arrêter la piraterie. Pour le faire, il faut une loi, il faut des décrets d’application et il faut communiquer sur ces lois. Si avant de lutter contre la piraterie l’Etat communique là-dessus, vous verrez que tout le monde va se plier.
On ne peut quand même pas imputer la seule responsabilité de l’absence d’une industrie musicale à l’Etat. Ces acteurs que vous avez cité qu’est-ce qu’ils font de façon concrète ?
Chacun a son boulot. Le boulot du producteur est de produire des discs. L’auteur est là pour créer, le compositeur est là pour composer ainsi de suite. Alors il faut savoir sur le plan macro, c’est-à dire l’Etat doit intervenir parce que si cette industrie est bien organisée l’Etat gagne. Il gagne sur les taxes, les redevances etc. Aujourd’hui si l’Etat trouve que cette industrie ne va rien lui rapporter, évidemment il ne fera rien pour la structurer. Je pense qu’au lieu de laisser cette industrie pourrir, les Etats africains doivent faire l’effort de commencer déjà par encadrer cette industrie en aidant à voter les lois, à structurer le secteur et à chercher à divulguer ces lois. Ensuite les professionnels, les investisseurs du secteur se diront maintenant que le secteur est encadré, nous pouvons mettre de l’argent parce qu’on est sûr de gagner de l’argent de faire de l’argent aux partenaires qui sont les auteurs, les compositeurs les managers et autres qui sont les partenaires privés et au partenaire public qu’est l’Etat. C’est de cette façon qu’il faudra voir les choses. Mais tant qu’ils n’auront pas la garantie que l’Etat pourra leur assurer une sécurité d’investissement évidemment ils ne prendront pas le risque parce qu’il y a quelques années encore on n’a pas noté ce dégât causé par la piraterie. Dans les années 1980, l’industrie musicale existait encore avec Albarica store et autres. Mais aujourd’hui avec l’avènement d’Internet cela a empiré. Du coup personne ne veut prendre le risque de ne pas gagner de l’argent. Il y a quelques maisons de disc qui existent encore mais elles sont très peu et elles peinent à tenir debout.
L’avènement d’internet en principe ne devrait-il pas plutôt aider ? Puisque dans les pays occidentaux, on voit quand même faire.
“Internet devrait profiter aux africains”
Internet devrait profiter aux africains. Je suis bien placé pour le dire parce que je représente la structure digitale qui s’occupe de la vente en ligne pour Sony au Bénin. La société distribue les œuvres phonographiques béninoises. Mais il faut d’abord savoir quelque chose. L’Internet n’est pas encore totalement compris par les acteurs eux-mêmes. C’est cela le vrai problème. Parce que tu as beau communiqué là-dessus, tu as beau montré les avantages mais ils ne sont pas toujours intéressés. Ils ne savent pas ce qu’internet peut leur rapporter. Donc il faut de la communication. Il faut que les africains s’approprient cet outil. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes qui mettent leurs œuvres sur Youtube sans savoir que ces œuvres peuvent être monétisés. Avec DibiDobo que je distribue digitalement, on a fait l’expérience et il gagne de l’argent. Alors qu’entre temps il aurait mis ses œuvres sur cette plateforme sans rien espérer en retour. Aujourd’hui cela lui génère des revenus. Quelque part, je trouve qu’il faut une communication. Les occidentaux qui ont cet accès technologique ne s’intéressent pas trop au marché africain. YouTube est présent véritablement dans combien de pays ? YouTube n’est pas au Bénin. Ce n’est pas parce que vous allez sur YouTube au Bénin que vous allez dire que YouTube est au Bénin. YouTube n’est pas au Bénin et rien n’est monétisé au Bénin. Il y a beaucoup de structures comme YouTube ne s’intéressent pas au marché africain parce qu’ils se disent qu’il n’y a pas de marché en Afrique. Mais avec l’avènement des artistes nigérians, certains et beaucoup de structures de maisons de disque ont commencé par s’intéresser au marché africain. Sony, Universal. Déjà Sony s’est implanté à Abidjan. Sony est au Nigéria et en Afrique du sud. Dans ces pays, Sony Universal et toutes ces maisons de disque sont implantées parce que c’est un marché structuré. Mais pour les autres, cela peine à venir parce qu’il faut que les Etats africains prennent conscience. L’Etat africain n’a pas à investir dans le secteur. Il a le devoir d’encadrer le secteur. Il y a une nuance. L’Etat américain n’investit pas en music. Mais la piraterie est condamnée. S’il y a un signal de piraterie quelque part, le Fbi est là. Le marché américain est hautement sécurisé ce qui fait que les investisseurs privés mettent de l’argent dans le secteur pour qu’il soit rentable. Si au Bénin il y a des lois fortes, des ressources humaines fortes pour accompagner ces politiques, petit à petit, les autres investisseurs même s’ils ne sont pas africains ,les investisseurs occidentaux vont se dire qu’il commence à avoir de l’espoir et que les dirigeants africains commencent par prendre leur responsabilité et là on pourra investir dans ce secteur très porteur s’il est structuré. Malgré la baisse de la vente en Europe et aux Etats unis les gens continuent toujours de gagner de l’argent.
Avez-vous jamais œuvré pour une levée de fonds d’investissement afin de financer la musique au Bénin.
Lever des fonds je pense que les artistes peuvent s’ils le veulent eux-mêmes lever des fonds à leur niveau. Parce que je vous donne un exemple simple. Il y a peut-être 5000 artistes au bénin. On suppose que chacun décide de contribuer à hauteur de 20.000 à cette politique de mise sur pied d’un studio de mixage professionnel. Ce que je dis est très simple, nous pouvons envisager de faire nous-mêmes les choses avant que les investisseurs ne nous aident. On peut déjà commencer par là. 20 mille francs par artiste et si nous sommes 5000 cela fait quand même quelque chose de 100 millions. Avec 100 millions tout de suite vous avez ce studio de mixage professionnel c’est ce que je dis. Les gens qui sont concernés ce sont les artistes eux-mêmes. Là on pourra dire que les 5000 qui auraient contribué peuvent sur deux ans trois ans ou cinq ans enregistrer gratuitement leur album là. Ils auraient investi 20 mille mais bénéficieraient d’un travail d’un million. Mais rester là et penser que c’est l’Etat ou les privés qui vont tout faire, cela mettra du temps.
Comment est-ce que vous vous organisez ?
Moi par exemple, je ne reçois que les gens qui ont un potentiel. Ensuite il faut qu’ils soient prêts à payer étant professionnels. Je travaille avec des gens qui ont un certain niveau et qui ont envie de faire vendre leur musique et d’évoluer et devenir des stars. Là, cela devient facile. Comme je suis aussi une plateforme de distribution digitale je ne travaille pas qu’avec les artistes béninois. Je travaille avec des artistes Nigérians togolais ivoiriens etc. J’ai noté qu’avec ces gens cela va beaucoup plus vite mais cela me fait mal parce que c’est une structure digitale basée au bénin. Mais comment comprendre que cette structure digitale serve beaucoup plus les étrangers que les locaux. Nous avons la possibilité de faire la promotion sur un réseau de 30.000 radios dans le monde via notre partenariat avec Sony avec 350 euros. Ce qu’ils ne savent pas est que lorsqu’on fait la promo sur ces radios on a la possibilité de gagner en termes de droit d’auteur parce qu’en Europe aux Etats unis en Asie les droits d’auteur sont payés. Lorsqu’une radio apprécie ce que vous faites, et que vous êtes enregistré dans le répertoire de la fédération internationale des industries phonographiques, les droits d’exécution vous sont reversés en tant que producteur. C’est quelque chose de très important. Les artistes doivent se dire que les choses ne se passent pas de la même manière comme c’est au Bénin. En Europe les gens paient les droits d’auteur pour une chanson passée. Donc si vous avez la chance d’être diffusé par un certain nombre de radios, vous pouvez gagner énormément de l’argent. Donc pour moi, ce sont des éléments à considérer par les artistes, les acteurs de la chaîne de production et que désormais, ils se disent que tout n’est pas perdu et qu’il suffirait qu’ils s’organisent mieux afin que l’industrie musicale tant rêvée soit une réalité.
Interview réalisée par la Rédaction
Laisser un commentaire