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“LA RÉPRESSION MILITAIRE NE FAIT QUE DÉPLACER LE PROBLÈME…”À PATRICE TALON, RICHARD BONI OUOROU FAIT DES SUGGESTIONS SUR LA CRISE SÉCURITAIRE

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Dans une lettre ouverte à l’objet sans équivoque, le politologue résidant au Canada évoque des pistes reposant les actions sur plusieurs axes stratégiques dont le dépistage, le contrôle, la prévention et la responsabilisation. Lire lettre ci contre👇

Objet: Le Bénin à l’heure du djihadisme : en être efficacement protégé grâce à un État progressiste et responsable.

Monsieur le Président,

Nos conceptions respectives du développement sont différentes, mais je ne peux vous reprocher d’être volatile. Vous vous êtes convaincu que le néolibéralisme est un tremplin absolu pour la croissance du Bénin et vous dirigez le pays en conséquence. Bien qu’enlaidie par les entorses aux droits de l’Homme, dont votre gouvernement est responsable, votre constance est assez remarquable à ce sujet. 

Rassurez-vous, Monsieur le Président, l’objectif n’est pas de peindre en noir vos actions, même si par le passé, mes critiques et autres propositions ont été lues et comprises sur la défensive. De manière constructive et explicative, je voudrais plutôt, cette fois-ci, m’employer à vous suggérer quelques pistes de solutions pour désamorcer une crise — une autre — en devenir au sein de notre société. Cette crise qui menace la stabilité, la sécurité et l’économie du Bénin (sans lui être propre), c’est celle produite par l’extrémisme religieux de type djihadiste. 

Ailleurs en Afrique, particulièrement chez nos voisins, la réponse traditionnelle des gouvernements aux actes motivés par cette idéologie pro-violence a été strictement militaire, mais sans grands succès. On peut tout simplement en retenir que face à la réalité sociologique complexe du djihadisme, ces opérations simplement réactives et policières sont déficientes et inefficaces. Elles n’appréhendent pas le phénomène dans sa globalité, excluant notamment sa genèse. De surcroît, la répression militaire ne fait souvent que déplacer le problème, au sens propre, dans la mesure où les groupuscules radicalisés vont s’installer dans les pays limitrophes, là où ils sentent qu’ils sont moins entravés dans la réalisation de leurs « devoirs ». Le Nord du Bénin, on le sait, fait partie des régions choisies. Ai-je besoin, Monsieur le Président, de vous rappeler ce qui s’est passé au Parc national de la Pendjari et ce qui hante toujours l’aire protégée du Parc W? 

Bien sûr, le Bénin n’est pas à la veille de basculer politiquement au profit d’un État islamisé. Et, il ne faut pas s’imaginer que je suis parti en croisade contre un supposé grand complot religieux grenouillant dans nos terres. Tous ceux et toutes celles qui me connaissent savent d’ailleurs que j’ai depuis longtemps adopté une manière pluraliste, inclusive et équilibrée, d’envisager les faits sociaux et économiques. La diversité et la liberté sous toutes leurs formes dans le respect du Droit et de la Constitution, font partie de ce que je crois essentiel au progrès du pays. Non, ce qui me préoccupe et qu’il faut que vous l’ayez à l’esprit, Monsieur le Président, c’est cette réalité d’un Bénin coupé en deux (le Nord et le Sud). Une réalité qui n’est pas favorable à l’épanouissement de l’ensemble de la population et, au demeurant, qui est en cause relativement aux percées djihadistes dans les localités septentrionales.

Il est clair pour moi que l’orientation néolibérale de vos politiques économiques et de développement a joué dans l’aggravation de ce clivage déjà problématique. Celui d’un Nord qui s’use et se souille les mains aux champs sans possibilité de sortir de sa pauvreté, orphelin de pouvoirs décentralisés qui auraient atténué sa frustration, abandonné par l’État central, de surcroît, exposé aux chants (et aux armes) des sirènes djihadistes. En revanche, nous avons un Sud connaissant une urbanisation inhérente, enclin à ses difficultés évidemment, mais plus diversifié, considérablement plus prospère, et bien à l’abri de la barbarie, tout ceci sous la protection manifeste du pouvoir central surtout avec des autorités étatiques qui y sont établies. J’ai une certitude, vous n’avez pas créé un tel clivage géo-sociologique, Monsieur le Président, vous pensiez même sincèrement, -sauf erreur-, pouvoir changer cette donne historique. Mais par un effet cobra, les conséquences sociales de vos décisions ont été contraires à vos bonnes intentions.

Monsieur le Président, je voudrais encore une fois attirer votre attention sur le manque de démocratie, le laisser-faire économique, le bafouement des droits de l’Homme et j’en passe. Je comprends que l’on puisse hausser les épaules chez vos laudateurs politiques, lassés par mes sempiternelles remises en question. Des notions qui s’appliquent à tout sont vides de contenu, prévenait déjà Aristote. J’en suis conscient. Aussi ferai-je maintenant les liens qui s’imposent en vous proposant, Monsieur le Président, une approche globale et des initiatives contextualisées pour contrer le surgissement de l’extrémisme islamique dans notre pays.

Il est crucial de ne pas minimiser l’insécurité résultant de la menace djihadiste ; et il est impérieux de bien comprendre son étendue. Afin de dissiper cette insécurité, il est essentiel qu’un État responsable et efficace agisse sur plusieurs fronts, à court, moyen et long termes. Cela implique que votre gouvernement planifie et supervise des mesures en se basant sur quatre axes stratégiques : le dépistage, le contrôle, la prévention et la responsabilisation. 

Le dépistage est lié à la sécurité nationale et aux renseignements. Il est essentiel d’allouer des ressources financières et logistiques adéquates aux centres, corps et ministères concernés afin de contrer les groupes extrémistes dans leur organisation et leurs projets. Il est crucial d’avoir des capacités de collecte de renseignements, en l’occurrence l’utilisation de drones, la surveillance électronique et des échanges avec les communautés locales. La collaboration avec les instances des pays voisins ainsi qu’avec des organisations internationales est aussi essentielles (vos soutiens diront, que c’est déjà le cas et qu’il existe un canal de transmissions d’informations relatives. Je voudrais néanmoins poser la question suivante: quel est le niveau des relations diplomatiques et fraternelles avec nos voisins pour espérer une franche et spontanée collaboration dans le domaine des renseignements transnationaux ?). Face au djihadisme, un pays de taille modeste comme le Bénin ne peut se priver des informations et du soutien technique que peuvent proposer les grandes agences de surveillance. Pour cela, faudrait-il que nous soyons ouverts à collaborer dans un esprit désintéressé qui met de côté de vos intérêts économiques et privilégie la sécurité nationale.  

Le contrôle fait référence à la gestion de crise sur le terrain par les Forces armées officielles advenant des exactions, méfaits et/ou actes terroristes. Les agents spéciaux et les militaires béninois, par exemple, doivent être réellement en mesure d’intervenir pour sécuriser des périmètres ainsi que pour protéger et sauver les citoyens. Des données, des matériels et équipements en quantité suffisante leur sont nécessaires. Le contrôle implique aussi une présence accrue des forces de sécurité dans les zones les plus touchées par l’insécurité. La mise en place de postes de vérification, notamment à l’orée des passages clandestins et aux frontières, fait partie des moyens rapidement déployables.

Autre axe stratégique : la prévention. Celle-ci, Monsieur le Président, n’est pas à négliger, bien au contraire. Par prévention, j’entends la création et la mise en place de mesures sociales et économiques permettant, en amont, de désamorcer les processus de radicalisation (chez les jeunes notamment) et même d’éviter carrément que le terrorisme devienne une option chez des populations isolées.

Pour reprendre le cas du Bénin septentrional, et sans jeter le blâme sur les gens exposés aux discours extrémistes — c’est aussi sous la menace de djihadistes armés qu’ils se font embrigader —, la pauvreté, la discrimination, l’exclusion sociale et les frustrations individuelles résultantes qu’on y retrouve sont des facteurs de risque. Qu’on puisse alors y voir davantage de « sympathisants » (de victimes) n’est qu’une question de temps quand la gouvernance continue d’ignorer cette réalité. À l’inverse, un pays est à l’abri du djihadisme lorsque l’État est présent, investit dans l’éducation et dans la formation professionnelle partout sur le territoire. Lorsqu’il travaille à réduire les inégalités socioéconomiques en y créant des opportunités d’affaires, commerciales, des stages, des formules coopératives, etc. Et, il ne s’agit pas toujours d’investir de grosses sommes d’argent. Je pourrais vous parler, Monsieur le Président, du grand impact positif qu’a eu la simple installation d’un lampadaire à énergie solaire dans le petit village de Benahou, à mon initiative.  

La prévention, c’est donc aussi de développer des infrastructures et des programmes adaptés afin de stimuler les investissements, l’entrepreneuriat local et la création d’emplois gratifiants. Des communautés prospères, instruites et fières de participer à l’essor du pays ne sont pas enclines à prendre le maquis djihadiste.

Cela m’amène, en terminant, au quatrième axe qui est en quelque sorte lié au précédent : la responsabilisation. Au sens large, celle-ci renvoie à la prise en main partielle par les communautés de leur développement. Un développement adapté à leurs réalités et soucieux de l’inclusion de tous et de toutes aux projets qui y prennent naissance. Or, cela n’est possible que si l’État accepte une certaine décentralisation. Je rappelle que décentraliser signifie transférer le pouvoir de décision et les ressources du gouvernement central aux autorités locales. Là où les communautés ont des besoins spécifiques, la décentralisation est habituellement bénéfique (principe de subsidiarité).  Même que la gouvernance générale s’en trouve bonifiée par le fait que les citoyens participent activement aux prises de décision un peu partout sur le territoire. Une plus grande efficacité démocratique, donc, et une nette diminution de l’isolement tant collectif qu’individuel, deux antidotes aux poussées extrémistes.

Une telle participation économique, civique et politique (en particulier des jeunes) a également un effet bénéfique en termes de cohésion sociale globale. Aidées à faire face aux défis de la vie sans passer par des phases de déprime ou de la violence grâce aux ressources déployées, les populations régionales se sentiront également intégrées à quelque chose de plus vaste, la patrie, ce qui tend à réduire les tensions communautaristes et à faire essaimer des valeurs républicaines et sociales comme le respect du droit et des libertés, la tolérance, l’entraide et l’honnêteté. Tout cela est à considérer sérieusement, ‘’car là où il n’y a pas d’espoirs, il ne peut y avoir d’efforts’’(Samuel Johnson). 

Avec le respect dû à vos fonctions,

Richard Boni OUOROU

Politologue et consultant

#ReporterBéninMonde

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